Aïkido : savoir attaquer avec une arme

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En Aïkido nous avons trois armes différentes à notre disposition. Si celles-ci ne sont pas semblables dans leurs formes et leurs manipulations, la règle qui préside à une attaque reste toujours la même : l’arme précède le corps.

En regardant de nombreuses vidéos, démonstrations publiques et autres DVD explicatifs, je suis toujours amusé de constater avec quelle facilité les professeurs désarment ou passent une technique à mains nues contre une attaque armée. Il faut être honnête. Dans 70% des cas, uke ne sait pas utiliser son arme, dans 15% il fait une parodie d’attaque, dans 10% il ne maîtrise pas les principes d’une attaque qui se doit d’être définitive. Cela nous laisse un vague 5% d’attaques à peu près correctes. Pourquoi ce constat ? Tout simplement parce qu’à trop montrer la « facilité » des techniques d’Aïkido pour désarmer un attaquant, on plonge le débutant ou le spectateur dans un énorme mensonge. Il suffit de regarder avec quelle difficulté un pratiquant d’Aïkido cherche à se dépêtrer d’une attaque à mains nues, et ce pendant des années, pour se douter qu’avec une attaque armée cela sera bien plus difficile encore. C’est notamment la raison pour laquelle de nombreux budo japonais ou wushu chinois n’autorisent la pratique des armes qu’après bien des années de formation à mains nues.

Eviter les pièges

Les pièges, ou les erreurs à ne pas commettre dans une attaque armée sont plus ou moins au nombre de quatre, mais on pourrait détailler à l’infini :

  • La méconnaissance de l’arme : ne pas connaître l’exact fonctionnement de celle-ci, ses différentes parties, sa longueur, ses angles, ses courbes, savoir que l’on ne coupe qu’avec le kisaki du sabre et non avec la base de la lame, etc.
  • Le manque de pratique : Toshiro Suga, Daniel Toutain et d’autres moins connus m’ont tous répétés que la pratique de 1500 à 2500 suburis quotidien sont une base élémentaire au travail des armes. Les katas et les kihons n’arrivent qu’en compléments.
  • La mauvaise relation corps-arme : dissociation entre le corps et l’arme, armer le coup en avançant le corps, l’arme non intégrée comme une extension du corps…
  • L’absence de sincérité : une attaque doit être donnée avec tout son cœur, son courage, son énergie et sa vitesse et tomber exactement sur les bons angles de coupe ou les points de frappe. Les parodies d’attaque sont légions ; elles arrivent généralement lentement, s’arrêtent loin de la cible ou pire encore, complètement à côté, laissant ainsi tori appliquer sa réponse en toute sécurité.

combat

De fait, la plupart du temps face à une attaque armée, il suffit généralement – en tant que tori – de pointer son bokken, jo ou tanto en avant pour trouver le ventre de uke, qui est largement ouvert et vulnérable à la moindre pique. Cette erreur est due au fait que uke lance généralement le corps avant son arme. Pire, de nombreux pratiquants avancent en armant le bokken au-dessus de leur tête, ou en armant le jo vers l’arrière. Ces deux mouvements sont antinomiques. D’un côté le corps avance, de l’autre l’arme recule et ne protège plus le corps puisqu’elle prépare l’attaque (pique ou coupe, peu importe). Ce mouvement d’attaque est donc absolument contre indiqué car il revient à offrir son corps à tori. En d’autres termes, martialement parlant, c’est du suicide.

 Armer n’est pas bouger

Il faut donc reprendre à la base les attaques avec une arme. Le mouvement préparatoire qui permet d’armer le bokken ou le jo doit se faire sur place, sans que le corps bouge d’un millimètre. Le fait d’armer ne doit pas provoquer de déplacement du corps, il n’y a aucune raison que cela soit le cas. Cela n’engage à rien d’armer un bokken au-dessus de la tête, ce n’est après tout qu’un mouvement de bras. Au contraire, le fait d’armer sans bouger permet de juger de la situation sereinement puisque le corps n’est pas encore engagé. Si la situation semble difficile et l’attaque compromise, rien n’empêche de changer de kamae ou encore de baisser sa garde et de rompre le combat. Mais cela n’est possible qu’en conservant sa position de départ, c’est-à-dire en conservant la distance de sécurité qui sépare uke de tori.

Au moment de l’attaque, le départ est donné par l’arme. Le corps ne fait que suivre l’arme et jamais l’inverse, sinon c’est perdu. Il est éventuellement possible de travailler en simultané entre le corps et l’arme, mais c’est ne se mettre que 50% de chances de réussir son attaque (ou de la perdre). Avec l’arme qui coupe ou pique d’abord et le corps qui suit l’attaque c’est augmenter nettement ces chances de réussite. Mieux encore, c’est interdire à tori toute possibilité de contre-attaque directe sur le ventre. Prenons le cas d’une attaque shomen avec le bokken. Le fait que le ken descende en premier, puis que le corps charge dans la descente du ken, permet de couper tout en fermant le chemin qui mène à soi. Tori ne pourra donc plus piquer ou couper le ventre, car le chemin sous le ken se ferme puissamment et toute contre-attaque qui viendrait par-dessous se verrait bloquée, écrasée par la coupe. Lancer l’arme avant le corps est donc un moyen de se protéger tout en attaquant.

tsuki_lance

Ce type d’attaque ne veut pas dire que 1- la coupe descend et 2- le corps avance, sinon la coupe se fait sur place. Il faut comprendre que la pointe du ken lance le mouvement et dans le dixième de seconde qui suit, le corps avance à son tour. La fin de la coupe doit correspondre avec la fin du déplacement et la stabilisation du corps afin de renforcer la coupe et sa position.

Si nous prenons le cas d’un chudan tsuki avec le jo, le principe reste le même. Le jo part et le corps suit, comme happé par l’avancée du jo. Il est difficile de contrer une telle attaque, car tori juge de l’attaque de uke par le mouvement de son corps. Or au départ le corps ne bouge pas alors que la pique est déjà lancée. Quand tori perçoit le corps qui bouge à la suite de son jo, c’est déjà trop tard : le jo est sur lui. Pour uke l’avantage là aussi est de se protéger en ne livrant pas son corps sans que l’arme lui ouvre la route au préalable, ce que l’on constate dans les mouvements de va et vient avant attaque dans certaines formes de pratiques d’Aïkido. Un jodoka ne ferait jamais cette erreur de débutant. Mieux, le corps qui arrive derrière l’impact de l’arme permet d’appuyer avec toute la puissance et le poids d’un corps en mouvement. C’est pour cela que le tsuki au jo est autant un impact qu’un transpercement qui demande l’appui du corps, dans la tradition de la pratique de la lance telle qu’apprise par O Senseï.

Pour terminer, voyons une attaque au tanto. Comme l’arme est courte, l’erreur est d’autant plus flagrante. Si le corps s’engage avant la lame, n’importe quel pratiquant avec une petite année d’entraînement ou simplement de bons réflexes pourra bloquer l’attaque dans le creux du coude de uke par exemple. Là encore, la lame doit commencer à descendre ou piquer avant que le corps ne bouge. Le travail devient alors plus compliqué pour tori, puisqu’il ne peut atteindre facilement uke qui se trouve protégé derrière sa lame. Il est obligé de travailler son esquive et son déplacement et renforcer le déséquilibre chez uke. Esquive, déplacement, déséquilibre : ce sont là toutes les bases de l’Aïkido. Mais elles ne sont vraiment réalisables que si l’attaque de uke est correcte, c’est-à-dire en respectant le principe de l’arme qui devance le corps.

 Trois règles de bon sens

Il est possible de lire ce texte en y voyant une critique de certaines façons de pratiquer les armes dans de nombreux dojos. Je dirais qu’il ne s’agit pas d’une critique partisane, mais tout simplement d’un constat basé sur la réalité. Une coupe efficace ne peut pas porter sur le bout du nez, mais doit trancher tout le corps. Il faut donc se placer à la bonne distance. Une pique efficace ne peut pas se contenter de jouer à touche-touche, mais doit transpercer. Il faut donc avoir le bon engagement. Une attaque ne doit pas être un suicide. Il faut donc se protéger dans le mouvement d’attaque. Mis bout à bout ces trois règles simples, on est bien obligé de se rendre compte qu’il faut revoir sa façon de pratiquer. Ceux qui en doutent devraient se mettre au Jodo et/ou au Kenjutsu. Au bout d’un mois de pratique ils auront compris leurs erreurs, parfois dans la douleur.

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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