Ankō Itosu : une légende du karaté

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portrait Itosu_AnkoPour ceux qui ne connaissent pas le Karaté, ce nom ne vous dira rien. Pourtant, Ankō Itsuo est l’un des fondateurs du Karaté tel que nous le connaissons aujourd’hui. Cet homme était déjà une légende de son vivant et on peut le considérer comme celui qui codifia et diffusa le karaté dans sa forme première. Tous les grands maîtres lui doivent directement ou indirectement leur art de la main vide.

Ankō Itosu est né en 1830 sur l’île d’Okinawa, dans la ville de Shuri. Les historiens soupçonnent qu’Itosu a eut une enfance difficile, car on sait ajourd’hui que son père le battait, l’attachait et le houspillait constamment à l’aide d’un bâton, dans le but avoué de développer chez lui un « esprit guerrier ». Les traces de ce traitement se retrouvent d’ailleurs jusque dans un certain nombre de katas qui cherchent à désarmer un agresseur armé d’un bâton.

Itosu et FunakoshiA l’âge de 16 ans il débute son étude de ce qui n’est encore connu que sous le nom de « shuri-te », la main de Shuri (la ville), une forme directement dérivée de la main des Tang, sa version chinoise. Son maître est le premier nom connu à ce jour dans les annales du Karaté, Matsumura Sōkon (1797-1893). Le temps qu’il devienne un homme et il fut rapidement engagé comme secrétaire personnel du roi Sho Tai, qu’il servit pendant 30 ans.  Pour Itosu, la vie était belle et plutôt tranquille jusqu’à ce jour de 1879 où les japonais du clan Satsuma envahirent l’île pour la soumettre au royaume du Japon. Les nobles dont faisait partie Itosu, se retrouvèrent aussitôt dans une grande indigence sous le nouveau régime.

(photo ci-contre : Itosu à gauche avec les lunettes et la moustache)

Cependant, dès sa jeunesse, Itosu s’était déjà taillé une solide réputation dans le Karaté, notamment en remportant quelques combats. Parmi les histoires qui circulent à son sujet, en voici une. Un homme dénommé Tomoyose se moquait régulièrement du shuri-te en le traitant de « karaté de salon ». Le gang de Tomoyose attaqua Itosu, qui allongea les trois premiers agresseurs d’un seul coup de poing pour chacun. Tomoyose attaqua lui-même et se retrouva inconscient de la même manière. Le secret de sa force venait d’un entraînement incessant au makiwara. Gishin Funakoshi le fondateur du karaté shotokan, était l’un de ses élèves et se souvenait qu’il insistait pour que tous passe de longs moments à frapper le makiwara pour durcir les poings mais aussi les pieds. Une autre histoire (légende ?) plus connue raconte qu’un voleur trafiquait sa serrure pour entrer chez lui. Entendant ce bruit, Itosu frappa et traversa sa porte en bois d’un seul coup de poing, saisit le voleur par les habits et l’assomma contre la porte. Quelle que soit la véracité de cette histoire, une chose ressort des nombreux récits à son sujet : Itosu était un homme fort et très entraîné.

Modifier le Karaté

Pour ne pas sombrer dans la misère la plus totale, il ne resta que l’enseignement du Shuri-te à Itosu pour pouvoir vivre. Jusqu’ici, l’enseignement des formes de combat à mains nues se pratiquaient à la fois dans le secret, au sein des familles ou des clans, mais surtout dans la classe supérieure de la société okinawaïenne (lire à ce sujet : L’art secret de la noblesse : le Karaté). Sans doute pour des raisons économiques, mais aussi certainement parce que les temps changeaient rapidement sur l’île, il décida d’enseigner à tous ceux qui pouvait payer d’une manière ou d’une autre. Mieux encore, il rendit l’enseignement public et favorisa l’ouverture de cours dans plusieurs dojos. Ce point-là est très important pour comprendre l’état d’esprit des premiers fondateurs des différents courants et l’idée de la diffusion de leur art au plus grand nombre.

Mais le grand changement qu’Itosu introduit dans le Shuri-te est de revisiter en profondeur cette discipline martiale. Jusqu’ici, les tenants du Shuri-te, Naha-te, Shorei-te et Tomari-te reproduisaient les formes de combats chinoises. Cela consistait en une succession de coups rapides mais pas toujours puissants, afin d’avoir le dessus sur l’adversaire, ou bien en des saisies, ou encore à frapper sur les points vitaux. Itosu simplifie les mouvements, favorise la ligne droite dans l’attaque, réduit les déplacements du corps, renforce celui-ci et surtout ses extrémités et va chercher à remporter le combat avec une seule frappe dure et définitive. Enfin il choisit de mettre l’accent sur les katas pour que les étudiants travaillent la forme et le fond en même temps, se renforce, mais aussi s’harmonise entre les écoles. Il modifie donc complètement cet art qui va rapidement devenir le Karaté d’Okinawa, tel qu’on le connait encore aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle on le surnomme affectueusement le « grand-père du Karaté moderne ».

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(Itosu au 2ème rang, avec la moustache blanche, en 1908 lors d’une démonstration publique.
Notez la présence des plastrons de Kendo pour protéger les élèves.)

Les 10 préceptes du Karaté

Dans son souci de diffusion et de clarification de son enseignement, Itosu décida en octobre 1908 de rédiger les 10 préceptes du Karaté (tode Jukun). Cette rédaction est en fait une lettre dont l’impact ira jusqu’au cœur du Japon et impressionnera le ministère de l’éducation et des sports nippon. La voici :

Le karaté ne s’est pas développé à partir du Bouddhisme ou du Confucianisme. Dans le passé, les enseignements des écoles Shorin et Shorei furent importés de Chine à Okinawa. Ces deux écoles ont chacune leurs points forts que je mentionnerai maintenant avant qu’il n’y ait trop de changements :

  1. On ne pratique pas le karaté uniquement pour son propre bénéfice : il peut être utilisé pour se protéger ou protéger sa famille ou son maître. Il n’est pas conçu pour être utilisé contre un seul assaillant mais comme une manière d’éviter un combat dans l’éventualité d’une rencontre malencontreuse avec un bandit ou une personne mal intentionnée.
  2. Le but du karaté est de rendre les muscles et les os durs comme le roc et d’utiliser les mains et les jambes comme des lances. Si les élèves commençaient à pratiquer le To-te (Main de Chine) à l’école primaire, ils deviendraient de bonnes recrues militaires. Rappelez-vous de ces mots prononcés par le Duc de Wellington après sa victoire sur Napoléon : « Notre victoire d’aujourd’hui s’est faite dès nos cours d’école. »
  3. Le karaté ne s’apprend pas rapidement. Comme un taureau se déplaçant avec lenteur, il réussit à parcourir des milliers de kilomètres. Celui qui s’entraîne chaque jour avec assiduité pendant 3 à 4 années arrivera à comprendre le karaté. Ceux qui s’entraînent de cette manière découvriront le karaté.
  4. En karaté, l’entraînement des mains et des pieds est primordial. L’entraînement au makiwara doit être approfondi. Pour ce faire, relâchez les épaules, ouvrez les poumons, retenez votre force, agrippez le sol avec vos pieds et descendez votre énergie vers votre abdomen inférieur (hara). Pratiquez en utilisant chaque bras cent à deux cents fois par jour.
  5. plastron karateQuand on pratique les positions de To Te, il faut s’assurer de garder le dos droit, les épaules basses, mettre la force dans les jambes, assurer une position ferme et abaissez son énergie dans l’abdomen.
  6. Entraînez vous à ces techniques de manière répétée en en dispensant l’usage par la parole. Apprenez-en bien les applications et la manière et le moment de les appliquer quand c’est nécessaire. Pénétrez la défense, contrez, relâchez est la règle du torite (lâcher la main).
  7. Vous devez décider si le karaté est pour votre santé ou pour vous aider dans votre devoir.
  8. Quand vous vous entraînez, faites-le comme si vous étiez sur le champ de bataille. Votre regard doit être assuré, les épaules relâchées et le corps se durcir. Il faut toujours s’entraîner avec intensité et concentration (zanshin); ce faisant, vous serez naturellement prêt.
  9. Il ne faut pas se sur-entraîner, cela provoquerait une perte d’énergie du bas-ventre et endommagerait votre corps. Votre visage et vos yeux rougiront. Entraînez-vous de manière avisée.
  10. Dans le passé, les maîtres de karaté ont vécu vieux. Le karaté aide à développer les os et les muscles. Il aide à la digestion et à la circulation. Si le karaté était introduit dès l’école primaire (élémentaire) dans le programme scolaire, il produirait nombre d’hommes capables de vaincre dix assaillants. J’affirme avec conviction qu’on peut y arriver en enseignant le karaté à tous les élèves de l’école d’instituteurs d’Okinawa. Dès lors, ils pourront ensuite enseigner ce qu’ils auront appris après avoir obtenu leur diplôme. Je crois que ce serait un grand bénéfice pour notre nation et notre armée. J’espère que vous considèrerez ma suggestion avec la plus grande attention. »

On perçoit bien le ton nationaliste qui prévalait alors dans le Japon de l’ère Meiji, et les arguments avancés ne pouvait que séduire la classe dirigeante et militariste de l’empire du soleil levant.

Un héritage marquant

Ankō Itosu décède en 1915. Dans son sillage, toute une génération de jeunes maîtres vont faire école et certains quitteront Okinawa pour essayer de toucher le cœur du Japon. C’est le cas bien entendu de Gishin Funakoshi et de son Karaté Shōtōkan. Kenwa Mabuni fut l’étudiant d’Itosu et il créa le Shitō-ryū. Chōjun Miyagi fut également influencé par Itosu à son retour de Chine et créa le Gōjū-ryū. Chibana Shōshin de son côté fut un autre de ses élèves, qui créa le Shorin-ryū. Hanashiro Shomo fut son élève le plus dévoué, qui aida non seulement Itosu à rédiger ses 10 préceptes, mais fut son héritier et changea le nom To-te (ou To-de) par Kara-te (la main vide). Hanashiro fut considéré comme le « grand parmi les grands maîtres ». En fait, toutes les branches du Karaté, à l’exception du Uechi-ryū et du Gōjū-ryū (où les maîtres sont allés en Chine pour étudier), peuvent remonter leur arbre généalogique jusqu’au maître Ankō Itosu, à une période où le Karaté ne s’appelait pas encore comme ça.

 

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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