Crise de transition à la FFAB

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tamura_jeuneIl fallait s’y attendre, l’ère post-Tamura à la FFAB ne va pas sans secousses et une sérieuse crise de foi. Mais cela n’a rien de franchement inattendu, les amateurs de blogs, forums et autres sites Internet avaient pu lire bien des choses en ce sens depuis longtemps. Toutefois, cette fédération risque de perdre pas mal de plumes dans cette phase de transition… à condition qu’il y en ait une.

Le départ très médiatisé de Jaff Raji et de son groupe Raji Budo International, de la FFAB aurait pu n’être qu’un départ de plus après celui de Malcolm Tiki Shewan, Stéphane Bénédetti et feu René VDB. Mais la clarté des propos tenus par M. Raji oblige tout un chacun, pratiquants comme enseignants de la FFAB, à se poser la question de la pertinence à continuer à adhérer à cette fédération. En résumé, les enseignants vont devoir faire des choix. C’est à cette conclusion qu’en est arrivé récemment Léo Tamaki qui, lui aussi, s’est retiré du jeu fédéral.

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Mais revenons un peu en arrière pour mieux saisir la situation de crise que vit la FFAB. La France a eu l’immense chance de recevoir très tôt après-guerre un grand nombre de maîtres d’aïkido incontestés et incontestables : Minoru Mochizuki, Tadashi Abe, Masahilo Nakazono, Masamichi Noro et enfin Nobuyoshi Tamura. Dernier arrivé, Tamura Senseï dut répondre aux exigences de l’esprit français et de son besoin d’organisation centralisée. Ce fut ainsi que peu à peu est né la FFAB, notamment suite à la séparation avec la fédération de judo. En dehors de cette liste de maîtres japonais, peu de français ont su s’imposer comme shihan, sauf André Noquet qui est à l’origine de l’introduction de l’aïkido en France, et bien sûr Christian Tissier. Comme on le sait, les fédérations et groupes d’aïkido français se sont organisés autour d’un maître.

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(André Nocquet et O Senseï, à table)

Tamura : un géant technique et un nain politique

Masamichi_NoroQui était Tamura Senseï ? Il est impossible de nier tout d’abord le travail accompli par ce maître, même s’il a repris une situation déjà existante. En effet, Noro senseï (ci-contre) avait déjà sérieusement défriché le terrain et créé plusieurs centaines de dojos à travers le pays. Une œuvre de titan qui est à mettre entièrement à son crédit. Tamura a certes dû reprendre la main, et faire valoir son approche technique. Si les premières années furent parfois un peu compliquées (et même techniquement parfois un peu viriles), une vie de démonstrations et d’enseignement ont fait de lui un maître inégalé. Il fut même qualifié par ses pairs (les autres élèves directs du fondateur) comme celui qui a été le mieux compris l’enseignement d’O senseï. Christian Tissier de son côté a toujours eu des relations profondes et cordiales avec Tamura, allant le visiter, échanger des propos et s’envoyer des vœux, même si cela est peu connu du public. Tamura était donc respecté pour sa compétence et aussi pour son humanité à travers sa pratique.

grimaldiMais si Tamura était indéniablement un géant de l’aïkido, en revanche il fut un nain politique. On peut arguer pour sa défense que la différence de culture à son arrivée ne jouait pas en sa faveur, mais lorsqu’il démarra la FFAB, il lui a bien fallu choisir entre être le maître à bord ou confier les clés de l’organisation à d’autres personnes. C’est la deuxième solution qu’il a choisie. Les années sont passées et l’outil que fut la fédération a joué, bon gré mal gré, son rôle au service de Tamura. On peut certes reprocher de nombreuses choses à la FFAB, passer son temps à taper sur la tête des présidents successifs (Bonnefond, Grimaldi, photo ci-contre- (C) autorisation d’Aikido Journal) et se défouler sur les forums, mais au moins la fédération a permis à Tamura de mener à bien sa mission de diffusion de l’aïkido en France, de créer un dojo (le shumeïkan) et d’avoir un salaire pour vivre. Mais jamais il ne prit les rênes en main ni choisit de gouverner et diriger la fédération. Il ne le pouvait d’ailleurs pas pour des raisons de nationalité, car il fallait qu’il devienne français (source : article de Léo Tamaki), chose que j’ignorais.

Du coup, l’administration a pris avec le temps une place toujours plus grande afin de pouvoir discuter avec les autorités sportives nationales et internationales. Le revers de la médaille est que la FFAB et son équipe dirigeante est devenue si présent qu’elles entraient fatalement en rivalité avec Tamura Senseï. La figure charismatique autour de laquelle s’était constitué le groupe était rattrapée par la nomenklatura, et les disputes commencèrent à devenir si courantes qu’aucun enseignant ou même étudiant avancé ne pouvait ignorer les propos qui volaient par-dessus les tatamis. Triste constat.

Les raisons de la crise à la FFAB

Fondamentalement, les raisons de la crise peuvent se résumer au nombre de trois.

  1. tamura Tamura est décédé. La FFAB cherche à lui survivre. Comment en effet, maintenant que la figure tutélaire a disparu, trouver une raison de continuer à exister et se prouver qu’elle n’est pas juste un outil, mais une entité vivante qui a son intérêt propre. Pas facile !
  2. Tamura, pour x raisons sur lesquelles on ne peut que spéculer, n’a pas nommé de successeur. Cette décision est soit la preuve du nain politique dont je parlais plus haut et qui ne voit pas ce que cette décision peut engendrer, soit la preuve d’une grande sagesse. En effet, qu’il nomme quelqu’un ou personne, la FFAB se serait de toute façon fractionnée tant les antagonismes et les égos sont nombreux. Pourquoi le faire avec une dernière décision qui aurait entaché son image après son départ.
  3. Aujourd’hui la direction de la FFAB semble avoir choisi une ligne dure, que l’on croirait à la recherche d’une soi-disant pureté du style Tamura. Cet argument lui permet surtout de contrer et d’exclure les courants ou les enseignants qui ne pensent pas comme eux et de régler de vieux contentieux qui pourrissaient dans les tiroirs. La conclusion est le départ successif des groupes comme Eurasia Aïkido (présent dans 12 pays, mais seulement 3 dojos référencés en France), Mutokukai (présent dans 18 pays, et 13 dojos en France), Budo Raji International (présent dans 9 pays, à part le dojo de Rennes, je ne connais pas les autres). Léo Tamaki ne représente pas un groupe, mais on sait que de nombreux enseignants et dojos le suivent de près.

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(Léo Tamaki et Tamura Senseï)

Des solutions à cette crise

Il n’existe pas 36 solutions et personnellement je n’en vois que quatre.

  1. Avoir le courage de reconnaître l’influence d’un grand professeur pour reprendre le flambeau et la direction technique. Soit en prenant un ancien – mais tous les grands noms sont partis voir ailleurs, essentiellement dans les 3 groupes cités au-dessus – soit en faisant le pari de la jeunesse. Cette dernière solution fut bien le cas lors de l’arrivée de Tamura (qui venait passer sa lune de miel en France avec sa femme fraichement mariée qui venait étudier le violon), pourquoi ne pas la réitérer ? Le problème est que le seul candidat viable et « bankable » était Léo Tamaki. Le voilà parti lui aussi. On pourrait penser également Brahim Si Guesmi, mais je ne crois pas que cela soit dans les plans de la FFAB que de faire monter un jeune. A voir dans les prochains mois de l’année 2013.
  2. Avoir le courage de l’ouverture, ne pas fermer la porte à la diversité, bien au contraire. Mais ce n’est apparemment pas la voie suivie, les faits parlent d’eux même contre cette option, au grand plaisir des fédérations plus petites ou de l’éternelle concurrente, la FFAAA, qui risque de voir son carnet de rendez-vous se remplir.
  3. Avoir le courage de la réforme administrative. Là aussi en changeant l’ensemble de la direction de la FFAB et en remontant le siège à Paris. Cette démarche semble la plus logique quand on veut parler avec le ministère et les instances nationales du monde du sport. Le fait que ce ne fut jamais le cas est une aberration, qui pouvait avoir du sens du temps de Tamura, de l’histoire de ses premiers pas au dojo de judo de Provence, etc. Mais aujourd’hui sans la présence de senseï, il est urgent de passer la main à une équipe parisienne.
  4. Avoir le courage de la discussion avec la FFAAA. La seule personne qui ait l’aura et la reconnaissance du Japon est bien sûr Christian Tissier. Lui seul peut permettre de « pacifier » la situation et de mettre tout le monde d’accord. Mais plusieurs obstacles se dressent face à cette possibilité. Tout d’abord la trop longue inimité entre les présidents des deux fédérations (Grimaldi et Delhomme) alors que les deux directeurs techniques (Tissier et Tamura) se sont bien entendus pendant des années. (Preuve s’il en faut, Tamura était présent pour la célébration des 20 de la FFAAA, sinon il suffit de relire l’interview de Tissier par Guillaume Erard et moi-même il y a quelques années à Bruxelles). La politique et les enjeux de pouvoir sont donc bien au cœur du désaccord. Ensuite, la décision stupide – il faut bien le dire, – de la FFAB de voter une résolution qui consiste à tout faire pour empêcher la nomination de Tissier au 8ème dan (lire page 2 du journal Seseragi d’octobre 2012), car cela le placerait de facto comme plus haut gradé français. Cette nomination est non seulement méritée, mais elle ne peut être bloquée constamment, sauf par le premier concerné, Christian Tissier lui-même (voir sa lettre ouverte à ce sujet, source FFAAA). Ce n’est donc qu’une question de temps et lutter contre ne fait qu’ajouter inutilement de l’huile sur le feu.

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(Christian Tissier Shihan)

Conclusions

On pourrait croire que la stratégie actuelle de la FFAB est une sorte de suicide à  moyen terme. Je ne le pense pas. Même si les défections risquent de se poursuivre en 2013, il faut regarder les chiffres. D’après les annonces du président Grimaldi dans le journal Seseragi, la FFAB c’est grosso modo 8 à 900 dojos en France. La perte des groupes influents ne représente pour l’instant qu’une égratignure en termes de quantité, car s’ils sont importants de par leur couverture à l’étranger, ils totalisent moins de 30 dojos en France. Les rentrées de cotisations sont donc encore assurées pour continuer à voir l’avenir financier sereinement.

La FFAB peut donc continuer à vivre, mais à mon sens il s’agit plutôt d’un mouvement d’inertie qui va tourner en roue libre quelques années avant que le problème de fond ne deviennent incontournable : qui mettre à la direction technique en dehors du collège des CEN ? Sans directeur technique, sans figure de proue pour donner du souffle à la pratique, de l’inspiration à la recherche, les pratiquants vont finir par tourner en rond. L’Aïkikaï ni la SIAF, sauf retournement étonnant, ne devrait pas aider la FFAB à trouver un maître de remplacement. La FFAB risque alors de s’essouffler petit à petit jusqu’à devenir une petite fédération comme l’est aujourd’hui le GHAAN par exemple.

Le plus triste dans tout cela est certainement le combat d’arrière-garde mené par la FFAB en ce moment. Dans les situations de crise et lorsque l’équipe est vieillissante (c’est un fait, on vieillit tous), la tendance est à la crispation et au durcissement. C’est bien dommage d’oublier d’où l’on vient, les paris pris et les risques qui avaient été faits autrefois. De plus, c’est oublier la leçon première de l’aïkido à savoir lâcher prise et laisser-aller quand il est l’heure de passer la main. En clair, la crise n’aura pas d’issue tant qu’il n’y aura pas de transition.

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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