L’énergie en Aïkido

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AIKIDOLe mot aïkido se traduit littéralement par « union », « énergie » et « voie ». On trouve cette définition communément admise dans la plupart des livres et des sites web de dojo. Le résultat est plus ou moins « la voie de l’union des énergies ». On peut comprendre cela de bien des façons, mais une chose est sure : le nom de cette discipline ne parle à aucun moment de technique, de combat ou encore de sabre. Non, ici c’est bien l’union des énergies dont il s’agit. Mais alors, à quel moment parle-t-on, enseigne-ton, permet-on de toucher du doigt cette fameuse énergie ? Puisqu’il s’agit du cœur de la discipline, inscrit au sein même de son nom, tous les enseignants devraient être formés à cela, non ?

 Voilà une question que je me suis posée tout au long de mes années de pratique martiale. J’ai eu de nombreux professeurs de qualité, des Européens et des Asiatiques, qui m’ont tous apporté beaucoup au niveau technique, mental et physique, mais jamais je n’ai vu la moindre explication relative à l’énergie. Et pourtant le mot Ki est employé fréquemment et les discours à ce sujet furent innombrables. Il faut mettre « du Ki dans le hara« , le « Ki doit sortir par les doigts« , le principe kinonagare, etc. Mais au-delà des déclarations de principes, rien. Le désert.

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Pendant des années, j’ai demandé aux nombreux professeurs et maîtres d’arts martiaux que j’ai pu croiser ce qu’était l’énergie. La réponse fut toujours évasive, et au mieux on me répondait « travaille encore 10 ans et tu comprendras ». Passionné par cette notion de Ki, j’ai donc au bout de mes 10 premières années choisi d’étudier 10 ans de plus. Puis j’ai reposé mes questions sur l’essence du Ki. On m’a répondu de travailler 10 ans de plus. J’ai eu encore le courage pour 5 ans. Mais la conclusion après 25 ans d’aïkido notamment (mais aussi de karaté, de karaté, iaïdo, kenjutsu, jodo et de qwankido), était que la plupart des enseignants n’avaient pas un gramme d’échantillon sur eux. Cette notion leur échappe dans les grandes largeurs. Quant aux maîtres asiatiques, leurs réponses restaient elliptiques ou symboliques à ce sujet. Le seul qui fut tout à fait honnête avec moi fut Christian Tissier qui m’avoua clairement qu’il ne cherchait pas à creuser ce mot, ce principe, car il est trop subjectif. Mais les autres ?

Les autres que j’ai pu interroger, suivre et écouter ne m’ont pas apporté de réponse au sujet de l’énergie. Comment alors, peut-on se prétendre professeur de la Voie de l’union de l’énergie et ne rien connaître à son sujet. Voilà qui me laissait perplexe et ne fit que faire grandir une frustration énorme par rapport à l’aïkido. Si O Senseï a choisi ce nom pour désigner son art, il ne pouvait pas s’agir d’un effet de style ou de cosmétique pour faire joli et rendre intéressant l’aïkido. Son parcours est éloquent à cet égard, et une personne mystique comme le fondateur ne pouvait être passée à côté de la notion d’énergie sans la comprendre profondément. Dans mon parcours j’avais raté les rares personnes qui auraient pu m’en parler et me démontrer ce qu’est l’énergie comme Hikitsuchi Michio ou Koïchi Tohei. Je ne me suis pas approché non plus du regretté Masamichi Noro (qui est décédé la semaine dernière) et de son kinomichi, à part une fois au téléphone il y a quelques années pour arranger une interview à l’époque du magazine aïkidoka. Que tous reposent en paix.

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Finalement, la réponse me fut donnée lors d’un stage à Jegun, sous la direction de René VDB. Parmi les professeurs de renom (Jaff Raji, Malcolm Tiki Shewan, entre autres) se trouvait François Dufour qui proposait des initiations au shiatsu. Ce fut enfin la révélation et du bout des doigts, sans aucun discours, il me fit constater la réalité de l’énergie. Commençait alors une recherche qui dure encore aujourd’hui, pour comprendre son fonctionnement dans le corps, ses possibilités et la science thérapeutique du shiatsu. Je suivais alors différents professeurs parisiens de shiatsu, une Hollandaise du nom de Lucy de Mooy qui m’aidait à enregistrer mes erreurs de posture et de pression à coup de pied (elle était karatéka 2e dan). Mais la grande rencontre fut incontestablement Yuichi Kawada à Bruxelles. Ce maître japonais est l’un des grands diffuseurs du shiatsu à travers le monde. Avec son père il soigna à Paris Nobuyoshi Tamura (en présence de Toshiro Suga qui accompagnait Tamura Senseï) qui souffrait de terribles maux de dos. Avec Kawada Senseï, je trouvais enfin la capacité à ressentir et faire circuler l’énergie du corps humain.

Si je raconte mon parcours en shiatsu, c’est pour revenir à ma question première qui trouve maintenant sa réponse. Si les professeurs ne peuvent démontrer le Ki au cœur de l’aïkido, c’est tout simplement qu’ils n’ont pas la formation. On ne peut donc pas les en blâmer quand les programmes fédéraux ne se préoccupent que de technique et oublient tout le reste (lire l’article sur les 6 Trésors du Budo). Quant aux maîtres qui ne m’ont pas éclairé davantage, je les comprends aussi, car l’énergie est un principe indicible. Ou encore, tous les mots ne feront jamais ressentir celles-ci. En avançant dans le shiatsu, j’ai laissé de côté l’aïkido, me disant qu’il n’y avait pas d’espoir pour cette discipline qui passait à côté de son principe fondateur qui est non seulement l’énergie, mais de plus comment unir la sienne à celle d’un partenaire. Et pourtant, si l’aïkido s’appelle ainsi, c’est qu’il y a bien un lien.

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Après huit ans de formations dans différentes écoles de shiatsu, j’ai commencé à réfléchir à ce lien. Entre temps, grâce à mon ami Guillaume Erard, j’ai pu lire les théories d’Henry Kono qui m’ont éclairci un peu plus. Puis, j’ai rencontré Masato Matsuura qui en kenjutsu m’a beaucoup enseigné sur la notion de spirales. J’ai surtout, grâce aux masters class de Léo Tamaki, pu rencontrer les maîtres Yoshinori KonoAkira Hino et Minoru Akuzawa. Chacun à leur manière m’a apporté une pierre à l’édifice, me laissant dans mes réflexions et expérimentations pendant des années entières. Enfin, peu à peu, à mes yeux s’est dessinée la trame de fond de l’aïkido. En comprenant quels sont les principes des mouvements de l’énergie j’ai – à mon grand émerveillement d’ailleurs – constaté que ce sont ceux de l’aïkido. La correspondance est totale. Je me suis mis alors à relire toutes les techniques une par une et j’ai pu trouver la raison même de leur existence, à commencer par ikkyo, première technique et dernier principe. Aucune technique d’aïkido n’échappe à un principe énergétique, que ce soit en termes de dynamique de déplacement ou de circulation des méridiens du corps. Non, définitivement non, O Senseï n’avait rien laissait au hasard. L’aïkido est bien la voie de l’union de l’énergie.

Aujourd’hui, c’est avec bonheur que je montre ces liens dans différents dojos en Belgique, et dans les mois prochains en France. Bien évidemment, cela n’ouvre pas d’un coup d’un seul la perception des sens aux pratiquants, il n’y a pas de magie. En revanche, j’ai l’espoir que mes explications aideront à y voir plus clair, à donner une direction dans l’aïkido, à tous ceux qui comme moi se posent des questions. Cela ne m’a pas rendu meilleur technicien, là aussi, pas de magie sans un entraînement rigoureux. Mais je peux lire ce que recèle chaque technique et cela éclaire sur le moyen de les réaliser et de comprendre leur but. Par exemple, le but de kotegaeshi n’est pas uniquement de faire chuter son adversaire par une torsion du poignet, mais d’appliquer une spirale centrifuge sur le méridien du poumon, afin de perturber la respiration. Autre exemple, ikkyo n’est pas une technique intéressante en soi. Mais du point de vue énergétique c’est au choix une technique de santé qui étire le méridien du cœur afin d’apaiser l’esprit, ou une technique mortelle qui vient créer un arrêt cardiaque. Cette compréhension revient à dire que l’aïkido reproduit en permanence tous les principes de mise en mouvement de l’énergie (j’expliquerai cela dans un prochain article) et que son union se fait par le biais de la technique. L’aïkido est donc la fusion entre la technique martiale et la circulation énergétique.

Controle-coude-sur-ikkyo

 

Pour en arriver là, je tiens à remercier tous les maîtres et professeurs de Budo qui m’ont inspiré à un moment où un autre (dans le désordre) : Philippe CocconiJaff RajiMalcolm Tiki ShewanDominique Pierre, Stéphane Benedetti, Nobuyoshi Tamura, Henry Kono, Jean-Marc Dessapt, Gil Pham Trong, Yoshimitsu Yamada, Pascal Krieger, Seiichi Sugano, Christian Tissier, Léo Tamaki, Masato MatsuuraDaniel Toutain, Yoshinori Kono, Akira Hino, Minoru Akuzawa, Takemi Takyatsu et aujourd’hui maître Dong Van Sang que j’ai le plaisir de voir toutes les semaines.

En shiatsu, je tiens à remercier : François Dufour, Françoise Bataillon, Lucy de Mooy, Yuichi Kawada, Onoda SenseïJean-Marc Weill et Ohashi Senseï.

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

12 réflexions sur “L’énergie en Aïkido

  • 7 février 2014 à 11 h 14 min
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    J’ai bien l’impression que l’on a le même type de recherche et les même interrogations de base sur l’aikido.

    Je n’ai pas le même parcours mais j’essaie également à développer ce fameux ki.

    J’espère que je pourrai assister à un de tes stages.

    Julien

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    • 18 février 2014 à 12 h 00 min
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      Avec plaisir cher Julien. Il suffit de m’inviter et hop, je viens… enfin quand j’ai le temps 🙂
      Ivan

  • 7 février 2014 à 18 h 39 min
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    Bonjour, Ivan Sensei,
    Un excellent article; c’est vraiment très intéressant la grande œuvre du Maître Noro, une personne très aimable, que j’ai eu l’opportunité de lui rencontrer.
    Bonne weekend a vous.

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    • 18 février 2014 à 11 h 59 min
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      Merci pour votre commentaire.
      A bientôt.
      ivan

  • 24 février 2014 à 15 h 38 min
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    Bonjour et bravo pour votre blog complet et realiste sur la voie interne.
    Pouvez vous m aider dans ma recherche sur les alentours de Lyon de Maîtres qui partagent la même conception. Bien cordialement

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    • 25 février 2014 à 6 h 49 min
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      Cher Ian,
      Désolé, mais je vis à Bruxelles et je ne connais pas grand monde sur Lyon. Je ne peux, hélas, que vous renvoyer vers Google 🙁
      Cordialement,
      Ivan

  • 7 juillet 2014 à 20 h 15 min
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    Sugestion de lecture; DAITORYU
    Vers le découverte de l’Aiki.

    Ce livre m’a bluffé carrément.

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    • 11 août 2014 à 17 h 15 min
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      Bonjour cher Sylvain,
      Désolé pour la réponse tardive… les vacances.
      Merci pour le livre, mais pourriez-vous donner ses références (auteur, éditeur, année ?). Pourquoi ce livre vous a éclairé et sur quel sujet ?
      Merci

  • 5 novembre 2015 à 9 h 18 min
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    je viens de découvrir par hasard ce site, et votre post,
    c’est tellement proche des questions que je me suis posé pendant si longtemps, j’ai pratiqué les arts martiaux dans les années 60, puis je me suis centré sur l’aiki-do, formé avec Noro au moment de son arrivée en France, puis les grands stages de plusieurs semaines avec Nakazono, puis Tamoura ! J’ai enseigné à Nice pendant quelques années, mais la question demeurait, comment se former au ki ; puis j’ai abandonné tout ça, un peu déçu, pris par mes obligations familiales et professionnelles, j’ai enfin rencontré la réponse que je cherchais quarante ans plus tard, dans l’enseignement du tai chi méthode Vlady Stévanovitch, avec des exercices précis sur le repérage, l’accentuation du tantien (hara), sur la production de chi, la canalisation, (stages chi et médecine, mais aussi dans tous les cours) ! artduchi.com (je ne mets pas la référence pour faire de la publicité, juste pour le partage …merci pour ce post !

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    • 14 novembre 2015 à 7 h 54 min
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      Merci pour ce commentaire, je suis content que de plus en plus de personnes soient à la recherche du Ki et ce, depuis longtemps.
      Bonne lecture du blog.

  • 8 janvier 2016 à 16 h 11 min
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    François Dufour inspire le plus grand respect d’un enseignant de Taichi pour qui j’ai un très grand respect. Les rencontres décisives sont essentielles finalement.

    Sincère respect pour vos recherches 🙂

    Frédéric

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    • 9 janvier 2016 à 17 h 29 min
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      😉 J’aimerai bien savoir ce qu’il devient.

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