Guerre des fédérations : une aubaine pour l’Aïkido

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Récemment une connaissance m’a demandé ce que je pensais des derniers rebondissements de la guerre des fédérations françaises. J’ai tout d’abord refusé, puis j’ai reçu d’autres demandes allant dans le même sens, notamment de la part de certains cadres de la FFAB et de la FFAAA. Le dernier événement, à savoir le non-renouvellement de la participation de la FFAB au sein de l’UFA, permet de dire que le projet d’unification forcée de l’Aïkido français est devenu lettre morte. C’est une excellente nouvelle et une vraie aubaine pour l’Aïkido européen. Je réponds donc à mes amis et connaissances de tous les courants d’Aïkido et les encourage à reprendre cet article dans leur fédération.

 

La vieille rivalité qui oppose la FFAAA et la FFAB, les deux grandes fédérations françaises officiellement reconnues, avaient poussé les autorités et le Ministère française des sports et de la jeunesse de tenter une unification via un organisme ad-hoc, l’Union des Fédérations d’Aïkido (UFA). La guerre fit alors rapidement rage pour savoir qui des deux allait l’emporter sur l’autre. Ce mariage non-désiré ne fonctionnait pas ou peu, car les styles et les manières de pratiquer sont clairement différents.

Christian Tissier

Curieusement, les directeurs techniques de ces deux fédérations, Christian Tissier et Nobuyoshi Tamura, n’étaient pas les plus belliqueux à ce sujet, loin s’en faut. Pour eux, tout est Aïkido, et seule l’expression de ce dernier est différente, ce qui est assez logique. Ce sont les cadres dirigeants des deux fédérations qui se sont accrochés le plus âprement – leurs pouvoirs étant en jeu – car la possibilité de remporter le gâteau de tout l’Aïkido fédéral aiguisait les appétits. Il faut savoir que les deux courants représentés par la FFAAA et la FFAB se retrouvent dans d’autres pays, avec les mêmes enjeux, comme en Belgique par exemple, entre l’UBeA et l’AFA. Il faut savoir que la tentative d’unification via l’UFA se faisait « à l’essai » tout au long de l’olympiade 2004-2008, soit pendant 4 années. Les accrochages, guerre de règlements, croche-pieds en tous genres ont émaillé ces quatre ans, mais ont aussi eu un effet de ras-le-bol au niveau des bases de ces fédérations.

En fin d’année 2008, trois événements importants sont venus changer la donne, et remettre les compteurs à zéro.

1- La fin de l’olympiade et le début de la nouvelle, avec réélection des cadres dirigeants des deux fédérations. Hélas, comme d’habitude, les mêmes caciques ont repris leurs postes et rien ne change de ce côté-là.

2- Le congrès de la Fédération Internationale d’Aïkido (FIA), qui a eu lieu à Tanabe (ville natale de O Senseï au Japon) fin 2008, a vu le refus à l’unanimité de la candidature de la FFAAA au poste de vice-président de la FIA. Ce n’était pas étonnant car elle est la seule représentant la France auprès de cet organisme, la FFAB n’étant que membre observateur. Le projet qu’elle soutenait pour cette candidature était « unicité de l’Aïkido, unicité des pratiques ». Cette volonté affichée ici reflétait la sienne dans ses relations avec la FFAB au sein de l’UFA. Elle jouait donc son va-tout à Tanabe pour contraindre la FFAB à se plier. Le refus cinglant de tous les membres et du haut comité se comprend. Tous les pays membres ne suivent pas forcément l’un des deux courants majoritaires de l’Aïkido français. De plus les membres du haut comité, dont fait partie Tamura Senseï qui dirige la FFAB, font tous de l’Aïkido mais proposent tous une pratique différente. C’était les remettre en cause et vouloir nier les spécificités des maîtres historiques de l’Aïkido.

3- Dans la suite logique de la décision de la FIA, la FFAB a signifié son refus de poursuivre l’expérience de l’UFA pour la prochaine olympiade qui commence (2009-2012) et lui retire la part de cotisation qu’elle lui versait. Même si l’UFA existe encore, la FFAAA voulant poursuivre cette institution pour continuer à clamer sa légitimité auprès des autorités, elle n’est plus qu’une coquille vide.

 

NoroLorsque j’étais rédacteur en chef d’Aïkidoka Magazine, j’ai pu rencontrer de nombreux dirigeants car je suivais, avec l’aide de mon ami Guillaume Erard,  une ligne éditoriale que je défends toujours : celle de la pluralité des styles d’Aïkido. Nous avions un slogan qui me tient toujours à cœur « Tous les Aïki, du Daïto Ryu au Ki no Michi ». Après avoir rencontré et correspondu avec la quasi-totalité d’entre eux, j’affirme que la fin de l’UFA est une bénédiction et une aubaine pour l’Aïkido en France, mais aussi partout en Europe. A cela il y a plusieurs raisons. Tout d’abord parce que la pluralité des styles est une richesse pour les pratiquants qui n’ont que l’embarras du choix, mais aussi parce que cette diversité montre la réussite même du système qu’est l’Aïkido : une forme non-figée, adaptée à tous et que tous adaptent. Ensuite, parce que l’Aïkido est avant tout un ensemble de principes à mettre en action, et que cet ensemble de principes s’expriment à travers une multitude de variations dans les techniques. De plus, l’Aïkido a connu plusieurs phases d’évolution, et les différents courants sont aussi le reflet de ces évolutions, depuis le Daïto Ryu originel jusqu’aux formes actuelles. Enfin, parce qu’une offre élargie de fédérations permet une concurrence active qui évite l’endormissement d’une grosse fédération, si elle était seule à diriger. Cette concurrence ne peut que motiver les troupes et augmenter le nombre de pratiquants, ce qui est le meilleur cadeau que l’on puisse faire à l’Aïkido.

 

NocquetDire que l’Aïkido enseigné par le courant X est mieux que celui du courant Y, relève d’une belle étroitesse d’esprit. Ce genre de propos tenus ici ou là sont ceux de fanatiques qui n’ont rien compris à l’esprit de l’Aïkido qui est basé sur l’échange, le respect, l’acceptation de la diversité humaine. D’une manière générale, toute personne prétendant détenir le seul et vrai Aïkido peut être d’emblée considéré comme suspecte, d’autant que le Doshu en personne se garde bien de tenir ce genre de propos. Il est conscient de n’être que le représentant d’un art martial fondé par son grand-père. Son grand-père, O Senseï Morihei Ueshiba, était lui-même bien en peine de définir ce qu’était l’Aïkido selon des critères restreints. Pour lui l’univers était Aïkido, et l’Aïkido était l’univers. Ce qui, pour le moins, ouvre le champ des perspectives. Lui-même n’enseignait pas la même chose selon s’il était à Tokyo ou à Iwama, montrant ainsi l’exemple que l’Aïkido est potentiellement d’une très grande diversité et peut être transmis différemment à partir d’une même personne. Ses deshis, élèves directs devenus de grands maîtres par la suite, n’ont fait que reproduire et diversifier plus encore l’Aïkido. Qui peut dire que les maîtres Tamura, Yamaguchi, Saïto, Noro, Tissier, Sugano, Yamada ou Mochizuki ne font pas de l’Aïkido ? Le jugement de valeur est donc avant tout une question de goût et de lutte pour le pouvoir, préoccupation qui ne devrait pas avoir lieu dans le contexte des arts martiaux. Le seul pouvoir que l’on peut vouloir obtenir en tant que budoka est le pouvoir (la maîtrise) sur soi-même.

 

C’est pourquoi, je pense profondément que l’Aïkido français et ses petites querelles sont une chance pour tous. Tout d’abord parce que le nombre de courants présents sur le territoire français est déjà assez étonnant en soi, et aussi révélateur de l’engouement qu’il suscite.

  • FFAAA (Christian Tissier, largement influencé par Kisshomaru Ueshiba et Seigo Yamaguchi )
  • FFAB (Nobuyoshi Tamura, élève direct du fondateur)
  • Ki no Michi (Masamichi Noro, élève direct du fondateur)
  • Fundamental Aïkido Association (Daniel Toutain, élève de Morihiro Saïto)
  • Aikibudo (André Floquet, courant Takeda Ryu, Daïto Ryu Aiki Jujutsu)
  • Yoseikan Aïkido (Mochizuki fils, élève de son père)
  • Aikiryu (création de Charles Abelé, F.AAGE et Aikiryu-Shin, courant Hirokazu Kobayashi)
  • Académie Autonome d’Aikido (André Cognard, courant Hirokazu Kobayashi)
  • Aikibujutsu (Adrien Six, courant de Toshishiro Obata)
  • Takeda Ryu (Philippe Boutelet, courant Nakamura Ha)
  • Aïki Bukikai (Patricia Guerri, courant Saïto père)
  • Takemusu Aiki International (Philippe Voarino, courant Morihiro Saïto)
  • Aïkiryu-Shin (Alain Jobe, courant Kobayashi)
  • GCERCCE (Michel Soulenq, influence inconnue)
  • AFATJ (Gérard Blaize, courant de Michio Hikitsuchi)
  • Aïkido Yoshinkai (Jacques Muguruza, courant de Gozo Shioda)
  • Aiki-Iai-Toho (Jean-Michel Bovio, courant de Shoji Nishio)
  • GHAAN (d’André Nocquet, élève direct du fondateur, et dirigé par Claude Gentil)
  • Shodokan Aïkido (Satoru Tsuchiya, courant de Kenji Tomiki)
  • Bansenjuku Aïkido (courant de Seiji Tomita)
  • Ki Society (courant de Koichi Tohei)
  • EPA-ISTA (Alain Peyrache, ancien cadre de la FFAB)
  • Ecole Itsuo Tsuda (Régis Soavi, courant de Itsuo Tsuda)
  • Aiki Goshin Do (Roland Maroteaux, Takeda Ryu courant Maroteaux Ha)
  • ARA (Jean-Pierre Le Pierres, courant Tadashi Abe)
  • ACNA (Michel Bécart Shihan, membre du Sansuikaï groupement de Yoshimitsu Yamada)
  • et d’autres que j’oublie certainement mais qui j’espère se feront un plaisir de rectifier ma petite liste…

Philippe VoarinoPlus d’une vingtaine, et probablement plutôt une trentaine, de courants d’Aïki sont implantés en France. C’est énorme et c’est en même temps assez logique. Nous pourrions en avoir davantage à l’avenir. Cette diversité, bien loin de nuire à l’Aïkido, permet de faire fleurir une large palette technique qui offre un vaste panel de possibilités aux pratiquants, n’en déplaisent aux extrémistes détenteurs du soi-disant « véritable Aïkido ». Les luttes ne concernent donc qu’une poignée de gens, souvent haut placés, qui cherchent à asseoir un peu plus leur pouvoir ou leur crédibilité. Mais ce que l’on peut observer c’est que la base des pratiquants et des enseignants n’a pas ce problème. J’ai souvent eu l’occasion d’observer et d’entendre que les clubs, de courants très différents, s’invitent pour faire des échanges, montent des stages communs, organisent un événement public à plusieurs. Pourquoi ? Parce qu’ils ont compris que pour avancer dans la voie, il faut multiplier les expériences, faire ses choix.

Daniel ToutainDe plus, on ne le dira jamais assez, mais, il y a de la place pour tous. Cette affirmation est souvent récriée, mais c’est pourtant la vérité. Il y a environ 100.000 aikidokas en France (il faudra qu’un jour je fasse le compte précis). Sur plus ou moins 2 millions de pratiquants d’arts martiaux dans ce pays, cela laisse encore un bon 60 millions de candidats potentiels (63,8 millions d’habitants au 1er janvier 2008, DOM-TOM inclus). Par conséquent, il est assez évident que l’effort que doivent faire les fédérations n’est pas tant sur leur capacité à manger l’autre, mais sur leur intelligence pour continuer à se développer. Et là, quand on connait les mentalités apathiques des grands fédérations, le peu d’actions entreprises, la quasi absence de communication auprès du grand public, l’absence de relais pour aider leurs propres professeurs à s’installer, l’absence de veille des lieux à transformer en dojo, l’absence de comité d’aide juridique-matériel et financier, l’absence de projets communs à tous les courants d’Aïkido, on peut dire qu’il reste beaucoup, beaucoup à faire.

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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