Les grands unificateurs du Japon – 3 : Ieyasu Tokugawa

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Après Oda Nobunaga le conquérant, Hiedyoshi Toyotomi le réunificateur tout puissant, Ieyasu Tokugawa est l’homme qui tiendra définitivement le pouvoir sur tout le Japon. Volontiers décrit comme patient et rusé, l’erreur de ses ennemis fut d’oublier que c’était également un immense général qui combattit dans pas moins de 90 batailles. Découverte de celui qui instaura la pax Tokugawa pour des siècles jusqu’à la révolution Meiji de 1868.

Armoiries des Tokugawa

Dans l’article précédent, j’attirais l’attention sur le fait qu’Oda Nobunaga et Toyotomi Hideyoshi étaient tous les deux originaires de la même province d’Owari, Ieyasu Tokugawa naquit lui dans la province voisine de Mikawa, dont la frontière à l’est est commune avec Owari. Son père Matsudaira Hirotada passera sa vie à défendre son bout de territoire contre son grand ennemi Oda Nobuhide, le père de Nobunaga. Le destin des trois grands unificateurs du Japon démarre dans un confetti au sein du Japon, et ce fait reste l’un des hasards les plus troublants de l’Histoire de l’archipel. La famille Tokugawa est en réalité prise en étau entre deux grandes familles : d’un côté les Oda et de l’autre les Imagawa. S’allier avec son ennemi étant hors de question, c’est tout naturellement qu’ils se rapprochèrent des Imagawa, qui possédaient des vassaux au sein même de la province de Mikawa. Matsudaira – âgé de 16 ans – fit un mariage politique avec la fille d’un des vassaux des Imagawa – qui n’avait que 15 ans – et l’année suivante un fils naissait de cette union : Ieyasu.

Des années de séquestration

Yoshimoto Imagawa représente le daimyo le plus puissant de la province de Mikawa.
Il sera à la fois le tuteur et le geôlier du jeune Ieyasu.

En fait, le prénom de naissance du futur shogun est Takechiyo, ce qui signifie « vivant des milliers d’années comme les bambous », afin de lui porter chance et surtout longévité. La longévité était une denrée rare pendant la période des royaumes combattants, surtout pour un enfant mâle dont le destin sera de porter les armes. On comprend mieux le choix des parents, mais cela ne lui porta pas chance. Son oncle fit alliance avec les Oda, puis la famille de sa mère, ce qui poussa son père à demander le divorce et à séparer l’enfant de sa mère. Le château familial d’Okazaki fut par deux fois sous le feu des Oda et Matsudaira alla demander de l’aide à son allié Yoshimoto Imagawa. L’aide lui fut accordée, mais en échange de son fils. Peiné, mais n’ayant pas le choix, il envoya son fils sous bonne garde vers Sumpu, et n’y arriva jamais. En effet, pendant le trajet, le convoi fut attaqué et Takechiyo fut capturé par les hommes d’Oda Nobuhide. Ce dernier demanda le château d’Okazaki en échange de la vie de Takechiyo, mais la réponse que donna Matsudaira (son père) ne fut pas celle à laquelle il s’attendait : il pouvait bien tuer son fils, ce n’était plus son problème, mais celui des Imagawa qui en étaient responsables durant le voyage. Le tuer renforcerait encore plus leur alliance avec les Imagawa. Finalement, Nobuhide ne tua pas l’enfant et le garda comme otage pendant les 3 années suivantes. En 1549, les deux ennemis jurés se battirent une ultime fois sans qu’aucun ne prenne le dessus, et Nobuhide comme Matsudaira moururent peu après de maladie. Une page se tournait, mais l’avenir de Takechiyo ne s’éclaircit pas pour autant.

Le château d’Okazaki est au cœur du fief du clan des futurs Tokugawa

Le clan Oda se querella pour la succession et fut tout à fait désuni lorsque les Imagawa attaquèrent la province d’Owari. Ils proposèrent de ne pas attaquer les châteaux contre la libération de Takechiyo, ce que Nobunaga accepta. Cependant, il ne put retourner à Okazaki et dut aller à Sumpu devenir otage des Imagawa, comme cela devait être le cas au départ. Il restait donc prisonnier, passant d’un clan à un autre. Il avait huit ans. Toutefois, comme son clan était allié des Imagawa, ses conditions de détentions furent nettement meilleures. Il apprit les arts martiaux et l’art du commandement, se forma à la stratégie et à la religion. Il faut dire que Sumpu était réputé pour être une « petite Kyōtō » grâce aux soins apportés par Yoshimoto, son hôte. À 15 ans, il passa la cérémonie initiatique qui consiste à devenir un homme et fut rebaptisé Motonobu Matsudaira. Il eut le droit de visiter le château d’Okazaki, fut reconnu par ses vassaux qui combattaient toujours le clan Oda et fit le tour de terres qui lui revenaient de plein droit. Mais toujours otage, il rentra à Sumpu sans dire un mot. En 1557, il se maria avec une fille du clan Imagawa et changea encore une fois de nom pour devenir Motoyasu. Reconnu sans problème par son clan, marié au clan Imagawa, le temps était enfin venu pour lui d’aller de l’avant et de tenter de se faire un nom.

Le militaire et le politicien

Dès 1558, Motoyosu conduisit sa première bataille pour reprendre un de ses propres châteaux qui avait fait allégeance à Nobunaga. A 16 ans, dirigeant les hommes du clan Matsudaira, il chargea lui-même à la tête de ses troupes, mis le feu aux avant-postes du château de Terabe et fit un rapide calcul. S’il mettait le siège à celui-ci, Oda Nobunaga viendrait dans son dos. Il n’aurait pas le temps de prendre le château et risquait d’être pris au piège. Il ordonna de mettre le feu au château, quitte à le perdre et effectivement Oda Nobunaga arriva dans son dos. Par une manœuvre rapide, il fit se retourner son armée et put défaire son ennemi. Son retour à Sumpu fut un triomphe, car tout le monde comprit alors qu’un nouveau commandant brillant venait de naître dès son premier affrontement. En 1559, il s’empara de l’un des cinq forts frontaliers avec la province d’Owari sous le nez de Nobunaga. Sa réputation ne fit que grandir. Mais en 1560, Yoshimoto lança sa grande invasion d’Owari et put avancer rapidement grâce au surnombre de ses troupes. Motoyosu attaqua un château dans lequel il put ensuite se reposer, tandis que Yoshimoto établissait un camp en plein air, sûr de sa force. Mais c’était sans compter sur la fougue de Nobunaga qui de nuit, avec 10 fois moins d’hommes que son ennemi, attaqua et remporta la bataille d’Okehazama en tuant d’un coup de lance Yoshimoto lui-même. Ce fut la fin immédiate de la conquête d’Owari.

L’une des forces d’Ieyasu fut de s’entourer d’une équipe de généraux tout à fait compétents militairement.

Avec la fuite de l’armée des Imagawa, Motoyosu décida de rentrer à Okazaki, reprendre le château familial. Il prit alors une décision qui allait changer le cours de sa vie. Il ne pouvait plus compter sur le clan Imagawa qui s’était réfugiée à Sumpu, Oda Nobunaga semblait être un combattant hors pair. Les clans Matsudaira et Oda s’étaient battus pendant des années jusqu’à épuisement, les laissant à la merci de clans plus puissants. Il décida secrètement de s’allier à Nobunaga, engagement qu’il tiendra jusqu’à la mort de ce dernier en 1582. Mais cette alliance ne devait pas s’ébruiter, car son fils et sa femme étaient encore à Sumpu. Il décida d’attaquer tout aussi discrètement un petit château des Imagawa, sans prendre part à l’action, pour faire des otages qu’ils pourraient ensuite échanger contre sa famille. Pour cela, il engagea une bande de ninjas qui de nuit semèrent le plus grand désordre dans le château, tuant les gardes, se déguisant en hommes de troupe, et prirent le contrôle des lieux en quelques heures seulement. Motoyosu offrit le château à Nobunaga, échangea les otages contre sa famille et en cette même année 1562, décida de changer une fois de plus son nom pour celui de Ieyasu, nom qui restera dans les annales.

Ieyasu soutiendra la secte Jodo pour contre le mouvement des Ikko-ikki qui contraient les projets d’Oda Nobunaga.

Pour bien comprendre le personnage, il faut voir que son génie ne tenait pas uniquement dans ses prouesses militaires. En très peu de temps, il soutint la secte Jodo contre le mouvement populaire des Ikko-ikki,  détourna une partie des forces de ce mouvement à Mikawa et fut ainsi rejoint par Honda Tadakatsu, qui vint renforcer ses troupes et ses lieutenants. À propos de ses lieutenants, il est à noter que ce furent tous des grands noms de leur époque, comme Hattori Hanzō, Ishikawa Kazumasa, Sakai Tadatsugu et quelques autres, sur lesquels il put compter pour ses batailles. Plus tard en 1569 il demanda l’autorisation à l’empereur de faire revivre le nom du clan Tokugawa, branche des Minamoto, dont il se prétend le descendant, afin d’être anobli et pouvoir prétendre un jour au pouvoir. Tout cela participe d’un calcul à long terme dans le but de devenir un jour le shogun du pays.

Hattori Hanzō (1542-1596) fut l’un des capitaines d’Ieyasu.
Son nom est resté une légende dans le monde des arts martiaux.

Le calcul politique consistait également à forger des alliances militaires sur le côté. Mais les va-et-vient des alliances pouvaient également être un jeu dangereux et s’allier à la fois au clan Oda et au clan Takeda fut périlleux. Shingen Takeda était réputé pour être le meilleur général du Japon, implacable et d’un grand courage. Leur alliance devait permettre d’en finir avec le clan Imagawa, mais Shingen envahit la partie de la province de Mikawa qui n’était pas aux mains de Ieyasu, avant que celui-ci ne puisse le faire. Furieux, il rompit l’alliance et s’attaqua aux Takeda. Mal lui en prit, et lors de la terrible bataille de Mikata Ga Hara au début 1572, il faillit perdre la vie et les Tokugawa subirent une écrasante défaite. Il avait vu trop gros et dut fuir le combat pendant une année entière. Heureusement pour lui, Shingen meurt frappé d’une balle par un tireur isolé des Oda en 1573. Ieyasu appela Nobunaga à l’aide et ils combinent leurs forces (38.000 hommes) ils écrasent les Takeda en 1575. Ieyasu ne fera plus jamais de jeu politique sans l’appui de Nobunaga et lui restera fidèle jusqu’au bout.

Sous la coupe d’Hideyoshi Toyotomi

En 1582, lorsque Nobunaga meurt sous les coups du félon Mitsuhide Akechi [i] dans le temple d’Honnō-ji à Kyōtō, ses principaux généraux sont tous occupés. Hideyoshi est dans le sud aux prises avec le clan Moro et Ieyasu est à Osaka. Il cherche à venger son maître, mais des deux hommes, Hideyoshi est le plus rapide et il écrase Mitsuhide à la bataille de Yamazaki. Hideyoshi sera ensuite constamment en guerre pour reprendre les rênes des territoires déjà conquis. Dans cette lutte de succession pour le pouvoir, tous les coups sont permis. Lorsque Shibata Katsuie, un ancien vassal de Nobunaga se bat contre Hideyoshi, Ieyasu compte les points en gardant les distances. En 1583 il tente le coup en en soutenant Oda Nobukatsu (fils de Nobunaga) contre Hideyoshi. Cette provocation va mener les armées des Toyotomi et des Tokuagawa face à face pour la première fois et dernière fois. Le but d’Ieyasu n’est pas tant d’avoir le dessus que de montrer à Hideyoshi qu’il n’est pas à prendre à la légère. Les diverses escarmouches et la bataille Nagakute se termine sur un match blanc si l’on peut dire. Si Ieyasu est le plus malin stratégiquement, Hideyoshi compte bien plus d’hommes pour remporter une guerre à long terme. Sous l’égide de Nobukatsu, une trêve est décidée puis en 1586, voyant qu’il ne pourrait atteindre le pouvoir tant qu’Hideyoshi serait vivant, il décide de lui faire allégeance.

Cette peinture montre l’allégeance d’Ieyasu (assis) face à Hideyoshi (debout)

Échaudé par cette histoire Hideyoshi gardera constamment un œil sur Ieyasu. À cette époque, le centre du pouvoir impérial et du shogunat est à Kyōtō, mais le véritable centre politique tient dans la région d’Owari-Mikawa. Il ne fera plus confiance à Ieyasu et ne l’invitera plus à guerroyer, sauf lors de la conquête de la baie d’Edo contre le clan Hojo. Après la bataille d’Odawara, Hideyoshi lui propose les terres (bien plus riches) de l’ancien clan Hojo contre ses provinces intérieures, notamment celles de Mikawa, Shinano et de Kai. Ainsi, il éloignait Ieyasu du centre géopolitique de cette période, le séparait de son clan et de ses hommes, sans le placer à la capitale impériale pour autant. Mais Ieyasu fit cet échange de bon cœur malgré tout et décida de transformer le village d’Edo (qui signifie « la porte de la rivière ») en grande ville. Il est le premier à avoir vu le potentiel de ce qui plus tard deviendra la ville de Tokyo.

Lors des invasions de la Corée en 1952 et 1597, Ieyasu sera bien présent au quartier général, mais aucune de ses forces ne sera engagée. Le but d’Hideyoshi est qu’il ne puisse se couvrir de gloire au risque de devenir un héros. Mais Ieyasu s’arrange de cette situation et poursuit sa politique attentiste, tel un renard tapi dans l’ombre. La défaite des troupes en Corée lui donnera l’avantage militaire qu’il attend depuis longtemps. Les troupes de ses rivaux sont épuisées. Les siennes sont intactes. En 1598, Hideyoshi meurt de maladie et son fils Hideyori alors âge de 5 ans, devient le nouveau maître, sous la tutelle d’un conseil de 5 régents. La bataille va aussitôt faire rage.

Ieyasu fut un grand combattant qui participa à pas moins de 90 batailles au cours de sa vie.
Le voici ici dans son armure.

L’heure du destin

Le destin d’Ieyasu Tokugawa tient en un mot : Sekigahara. Plus qu’une bataille de grande ampleur où il prit le dessus, il faut comprendre que quasiment tous les clans luttèrent en même temps partout dans le pays. C’est comme si pour finir la période des royaumes combattants toutes les forces en présence se déchaînaient dans une furie inégalée.

Après le décès d’Hideyoshi,  Ieyasu Tokugawa est alors le membre le plus éminent du conseil des 5régents. Il est ancien capitaine d’armée de Nobunaga et physiquement son embonpoint en impose lors des réunions. Il impose alors à Hideyori de se marier avec sa petite fille Senhime, âgée alors de seulement 7 ans. Mais Hideyori fait reconstruire le château d’Osaka, réputé pour avoir su si bien se défendre contre Nobunaga et Hideyoshi. Il ajoute alors à une cloche à un temple sur laquelle il est écrit : « Puisse l’État être pacifique et prospère ; à l’Est il salue la pâle lune et dans l’Ouest fait ses adieux au soleil couchant. » Ieyasu, installé à Edo qui est situé à l’est, interprète ceci comme une insulte, et la tension commence à grimper entre les deux clans. Cela empire lorsque Hideyori commence à rassembler une force composée de rōnin et d’ennemis des Tokugawa à Osaka. Ieyasu décide alors d’empêcher cette force grandissante, et en 1600 y envoie 194 000 hommes. Le Japon est alors coupé entre deux coalitions, à l’Est et à l’Ouest du pays.

La perte du château de Fushimi près de Kyōtō est une lourde perte pour Ieyasu, car il lui ouvrait la voie vers Osaka et lui permettait de contrôler le fils d’Hideyoshi Toyotomi.

Au début cette guerre est surtout politique, pleine de fausses rumeurs, de désinformation et de manipulation des esprits et de mariages pour forger des alliances. À ce jeu-là, Ieyasu est un maître en la matière, notamment en ce qui concerne les mariages, car il possède une nombreuse progéniture issue de ses 17 épouses, pas moins ! Ishida Mitsunari, ancien capitaine d’Hideyoshi et membre du conseil de régence, tente de s’opposer au pouvoir grandissant des Tokugawa, et il sera vite identifié comme étant l’homme à abattre, pas tant pour sa puissance que pour son charisme rassembleur. Lorsqu’Ieyasu fut occupé par le clan Uesugi dans la plaine du Kanto, aussitôt Mitsunari marchait en direction du château de Fushimi [ii], délaissé par son maître, et qui tombera le 8 septembre 1600.

Ishida Mitsunari fut le régent qui s’éleva contre le pouvoir grandissant d’Ieyasu.
À cause de leur opposition, tout le pays sera divisé en deux camps.

Furieux, Ieyasu Tokugawa leva deux troupes d’avant-gardes, fortes respectivement de 16 et 18.000 hommes, qui empruntèrent deux routes différentes en direction de l’Est et la seconde en passant par le Nord, avant de redescendre. Leur mission : prendre tous les châteaux ennemis sur leur route. Kiyosu, Takegahana, Gifu, c’est une véritable litanie de lieux stratégiques qui tombèrent parfois en une seule journée, aux mains des Tokugawa et de leurs alliés. Une fois que tout le Tokaido fut sécurisé, Ieyasu décida qu’il était temps de s’occuper d’Ishida Mitsunari à Sawayama. Il réunit plusieurs dizaines de milliers de soldats et ordonna à son fils Hidetada de partir de son côté et lui du sien, puis de se rejoindre tous les deux à Akasaka où leurs hommes construisaient 3 jinya (forts) de campagne remarquablement équipés et énorme au regard de ce qui se faisait à l’époque. Après moult péripéties, les deux armées fusionnèrent au grand étonnement d’Ishida, qui était persuadé qu’à son âge, jamais Ieyasu Tokugawa n’oserait quitter Edo pour venir en personne se jeter dans la bataille.

La bataille de Sekigahara est le point d’orgue d’une longue campagne de déstabilisation et de conquête,
qui voit le triomphe d’Ieyasu Tokugawa sur tous ses adversaires.

Les troupes de l’Ouest s’établirent et renforcèrent les collines autour du village de Sekigahara, afin d’avoir une position dominante. Lorsqu’on montra au général Meckel, un conseiller militaire prussien de l’ère Meiji, les positions et les forces de l’armée de l’Ouest, celui-ci s’écria : «  Mais ils auraient dû gagner ! ».Mais Ieyasu, connaissant la formation de l’armée ennemie, décida de faire fi de toute prudence et stratégie, à l’opposé de son habitude et à l’étonnement de tous ses alliés, il opta pour une seule stratégie : foncer droit devant et tout emporter comme un raz de marée. Il comptait aussi la défection de certaines forces adverses qui avaient été soudoyées, mais sans aucune certitude sur leur hypothétique revirement. C’est donc sur un coup de dès que le 21 octobre à 9h du matin, Ieyasu et Mitsunari alignèrent face à face quelques 180.000 hommes. Ce fut une terrible et sanglante journée, où les retournements de l’aile droite de l’armée de l’Est permirent aux troupes Tokugawa de prendre l’avantage. À 2h de l’après-midi, Ieyasu comptait les têtes de ses ennemis et récompensait ses bushis. À partir de ce jour-là, malgré le fait que le château d’Osaka, où se trouvait Hideyori Toyotomi, ne tomba que 15 ans plus tard, plus aucune force au Japon ne put arrêter la formidable puissance des Tokugawa. Sekigahara fut le tombeau de la résistance armée.

Après la guerre

Ieyasu est nommé shogun en 1603.

Une fois retombée la poussière des batailles et des soldats en mouvement, qu’allait devenir le pays du soleil levant entièrement unifié dans une main de fer et un gant de velours. Tout d’abord, Ieyasu plaça tous ses alliés à la tête des différentes provinces, puis lui-même fut nommé shogun en 1603. Une paix remarquable s’installa entre les provinces et le pouvoir central. Comprenant que cet état était fragile, il prit plusieurs décisions importantes. La première fut de continuer à redistribuer l’ensemble du pays à ses alliés, petit à petit, les gardant ainsi dans l’attente de faveurs toujours plus grandes. Faisant cela, il déplaça tous les daimyos de leurs terres d’origine, afin de casser leur assise et éventuellement leurs forces. À chaque daimyo, il offrit au minimum 10.000 kokus de riz et un han (région) à contrôler par des forces de police, pour aider les collecteurs d’impôts et les représentants du shogunat. En dessous, il récompensa chaque officier ou hatamoto avec 100 à 9.500 kokus plus une audience par an auprès du shogun, au cas où leur daimyo ne se comporterait pas bien. Enfin, à chaque soldat furent attribuées une terre, une maison et une mission pour contrôler le territoire tout entier. Le pays ainsi quadrillé et à son service, il reprit et renforça les édits d’Hideyoshi, à savoir la chasse aux sabres (population désarmée), la séparation des castes (contrôle strict des classes sociales) et la fermeture totale du pays à toute influence étrangère.

Lorsqu’Ieyasu Tokugawa mourut en 1616, le pays était enfin calme. Il laissa à ses successeurs [iii], un conseil devenu célèbre : « Dans la vie, les hommes les plus forts sont ceux qui comprennent la signification du mot patience. La patience signifie retenir ses inclinations. Il y a sept émotions : la joie, la colère, l’anxiété, l’amour, la douleur, la peur et la haine, et si un homme ne cède pas à ces derniers, il peut être appelé patient. Je ne suis pas aussi fort que je pourrais l’être, mais j’ai longtemps connu et pratiqué la patience. Et si mes descendants veulent être comme je suis, ils doivent étudier la patience ». Il fut d’abord enterré à Sumpu où il avait vécu longtemps comme otage, puis son corps fut déplacé dans le sanctuaire de Nikkō [iv], dans l’un des paysages les plus époustouflants du Japon.

Au sein du parc de Nikkō, dans le temple Tosho gu, se trouvent les restent d’Ieyasu Tokugawa.

Petit à petit, les bushis devinrent des samouraïs, faute de champ de bataille. Les écoles de sabre [v] fleurirent et les duels aussi. Le kenjutsu découvrit l’arrivée du Iaïjutsu et les armures disparurent tandis que les techniques aux sabres se multiplièrent et rivalisèrent d’inventions. Mais pour le peuple, ce fut surtout le début d’un changement en profondeur, car pendant 250 ans d’affilé, la paix régna et la politique prit le pas sur la guerre jusqu’à l’ère Meiji où la caste des samouraïs – cause principale de toutes les souffrances – fut définitivement interdite.

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Ivan Bel

  • [i] Pour cette histoire, lire « Les grands unificateurs du Japon 1 – Oba Nobunaga » sur le blog fudoshinkan.eu
  • [ii] Le château de Fushimi, construit par Hideyoshi Toyotomi pour défendre la capitale, est la résidence de Kyōtō de Ieyasu, loin de ses terres du Kanto mais proche du pouvoir impérial et shogunal.
  • [iii] Il laissa la place de shogun dès 1605 à son fils Hidetada, qui régna jusqu’en 1623.
  • [iv] Aujourd’hui, Nikkō est l’un des plus beaux parcs nationaux du Japon.
  • [v] L’école de kenjutsu du shogun était l’école Yagyū Shinkage ryû, depuis 1594. Munenori Yagyū, fils du fondateur, fut le premier à enseigner cette école aux shoguns Tokugawa. Article à lire sur fudoshinkan.eu
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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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