L’incommunicabilité de la technique

Merci de partager l'article sur :

iaidoPourquoi sommes-nous obligés de passer des années à répéter une technique pour l’apprendre ? Comment se fait-il qu’un professeur ne puisse pas nous l’enseigner en quelques mois ? Pourquoi ne peut-on pas apprendre un Budo dans les livres ou les vidéos ? Voici autant de questions simples que l’on s’est tous posées au moins une fois dans sa vie de budoka, sans forcément trouver de réponse.

 

Comme tous les professeurs d’arts martiaux, je déploie des trésors d’imagination pour faire comprendre une technique à mes élèves. Discours, démonstrations, images évocatrices, trucs et astuces, rien n’est jamais suffisant pour arriver à transmettre une technique de soi, de son corps, de son for intérieur, vers un élève. Du coup, on en revient constamment à la seule valeur à peu près sure que l’on connaisse : la répétition sans fin, jusqu’à ce que l’élève comprenne. Et encore, cette technique ne donne pas toujours les fruits que l’on pourrait attendre, car le travail répétitif, s’il est mal compris ou exécuté, ne fera qu’empirer les choses.

En tant qu’enseignant, on se demande avec parfois un peu de découragement, comment faire pour transmettre au mieux ce que je sais. Nous sommes devant une sorte de mur pour expliquer une technique, car celle-ci transcende les mots. Une technique est un tout. Elle nécessite l’intelligence de l’esprit et du corps, mais aussi une bonne capacité d’attention, un bon timing, une bonne connaissance du mouvement, de son corps dans ses moindres muscles et tendons, des principes fondateurs de son art martial, des appuis, de la mécanique du squelette, du développement de l’intention, de la vitesse, du moment, du temps qu’il fait, de l’état de santé dans lequel on est… la liste peut s’allonger sans fin. Traduire cela en mots est impossible. La démonstration par le corps éclaire, mais ne permet pas d’acquérir la technique. Il faut donc admettre que par essence une technique est incommunicable.

aikido

Un élève me dit un jour avoir trouvé dans un livre la réponse à une technique qu’il n’arrivait pas à faire. Je lui ai dit qu’il se fourvoyait et qu’il n’y avait pas d’autre choix que de continuer à répéter cette technique pour la comprendre profondément, intimement, complètement. Voici une petite histoire morale chinoise qui devrait l’aider à comprendre cela.

Le charron Pien

charron(Extrait des Leçons de Zhuang-zi, Allia 2002, de J-F Billeter)

Un jour, un vieux charron nommé Pien taillait une roue au bas des marches du palais du duc Huan. Curieux, le charron regardait le duc avec son livre. Il posa alors son ciseau et son maillet, monta les marches et demanda au duc « Puis-je vous demander ce que vous lisez ? »

– Les paroles des grands hommes, répondit le duc.

– Sont-ils encore en vie ?

– Non ils sont morts.

– Alors ce que vous lisez là, ce sont les déjections des Anciens.

– Comment un charron ose-t- discuter de ce que je lis ? Si tu as une explication je te ferai grâce, sinon tu mourras !

– J’en juge d’après mon expérience. Quand je taille une roue et que j’attaque trop doucement, mon coup ne mord pas. Quand j’attaque le bois trop fort, il s’arrête, bloqué. Entre force et douceur, la main trouve et l’esprit répond. Il y a là un tour que je ne puis exprimer par des mots, de sorte que je n’ai pu le transmettre à mes fils, que mes fils n’ont pu le recevoir de moi et que, passé la septantaine, je suis encore là à tailler des roues malgré mon grand âge.  Ce qu’ils ne pouvaient transmettre, l’essence de leurs pensées, les Anciens l’ont emporté dans la mort. Ce ne sont donc là, que des déjections que vous lisez-là. »

—-

confuciusDans ce petit texte tout est dit et on pourrait croire qu’il a été écrit pour les arts martiaux. La technique et la pensée ne font qu’un et lorsque la main trouve son chemin, l’esprit répond. La technique se trouve entre force et douceur.  La technique tout comme la pensée est incommunicable, surtout si la personne qui en est à l’origine n’est pas là pour l’expliquer. La technique ou la pensée ne peut se transmettre sans la présence du maître. Seul le travail, la répétition et la direction d’un maître pendant des années peut permettre éventuellement de saisir sa technique ou sa pensée.

Merci de partager l'article sur :

Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée.

55 + = 63

*

Fudoshinkan - le magazine des arts martiaux