Master Class avec Akira Hino : la vague intérieure

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Hino-Akira-concentrationCe week-end des 14 et 15 novembre, j’ai eu la chance de suivre la formation proposée par Akira Hino Senseï à Paris, au cours d’un de ces Master Class dont Léo Tamaki a le secret. Ce fut une rencontre aussi étonnante que profonde. Loin des carcans que proposent généralement les karatéka ce fut la découverte d’un budoka au sens le plus large du terme.

Il y avait longtemps que je voulais rencontrer Akira Hino Senseï (voir sa présentation). Sur les photos et les vidéos, son visage toujours souriant ou rigolant m’attirait. Je me disais qu’un hmomme qui trouve autant de plaisir et de raisons de rire pendant ses cours devait être un personnage intéressant à voir de près. Je ne me suis pas trompé. En revanche, bien que j’ai lu de nombreux articles sur le blog de Léo, je ne savais pas du tout à quoi m’attendre. C’est donc avec un esprit dégagé que je me suis rendu sur le lien du stage, au dojo d’Herblay. L’ambiance était celle de la Master Class de Yoshinori Kono qui m’avait tant emballé. Des pratiquants de toutes les disciplines étaient là. A n’en pas douter, j’étais à nouveau dans un stage transdisciplinaire où les guerres de chapelles n’ont pas lieu. Ici c’est la recherche du Budo au sens le plus pur, qui ne s’encombre pas de l’appartenance à un courant ou même à un art martial.

La vague intérieure

La première impression qu’un maître vous fait est généralement la meilleure. Lorsque Hino Senseï est monté sur le tatami, c’est la simplicité qui prime d’entrée de jeu et son sourire. Je ne m’étais donc pas trompé. Voilà un homme heureux et détendu. Tout le samedi matin a été consacré à l’étude du point kiyokotsu (sur le plexus) et à sa mise en mouvement. Sans rentrer dans les détails techniques, le principe martial sous-jacent à la technique de ce maître consiste à créer une vague intérieure. La colonne ondule comme un serpent. Si au départ on n’est pas très à l’aise avec ce principe qu’il faut expérimenter physiquement, les exercices proposés montrent rapidement à quel point cette ondulation est puissante. Elle permet de relâcher les muscles et de ne pas s’en servir, afin de dégager la puissance intérieure du corps. Je me suis souvenu que Kono Senseï nous avait montré un exercice sur ce principe. Ici, ce sont tous les exercices qui sont basés sur ce travail intérieur.

Hino-Akira-techniques-pied

Le plus étonnant reste que dans les exercices effectués, je me suis régulièrement et volontairement mis à forcer musculairement. Rien ne passe. Dès que j’arrivais un tant soit peu à oublier mes muscles, tout fonctionne. Le partenaire se sent déstabilisé sans rien pouvoir y faire. On n’est pas dans la création d’un vide, comme en aïkido. C’est encore autre chose.

 

Ressentir la prise de contact

Le plus étonnant et le plus difficile furent les prises de contact avec le partenaire, en vue de ressentir instantanément tout son corps, ses tensions, pour le faire bouger avec aucune force. Nous avons fait les exercices suivants : taper dans la main du partenaire, conserver un contact paume contre paume et immédiatement amener ce dernier à bouger contre sa volonté. Cet exercice est d’une difficulté sans fin, avec des variations à s’arracher les cheveux. Index sur l’index de l’autre, saisie de tout le poignet, de l’avant-bras… avec la recherche du même résultat. Dès qu’uke sent une tension, il bloque aisément le mouvement. Sans tension, ni information de tori, le mouvement naît de lui-même. La vague intérieure et le relâchement musculaire ainsi que l’absence de volonté, le tout combiné, permet d’y arriver.

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Une vague, des ondulations

Il est impossible de décrire avec des mots le contenu d’un tel stage. Mais quelques points m’ont fortement marqué. Le premier est que le principe de vague intérieure permet des ondulations délocalisées. Je m’explique. Sur une saisie de type sankyo, en refaisant partir la vague depuis le point kiyokotsu, il est possible d’envoyer une ondulation de la colonne à l’épaule, puis au coude et enfin au poignet, afin de se dégager et de retourner la technique contre uke, sans aucune douleur. Idem sur un blocage de type kotegaeshi à la cheville. La vague de la colonne se communique ensuite à la hanche, au genou puis à la cheville, renversant sans difficulté le partenaire. S’il est possible de contrôler une partie du corps, il est en revanche impossible de maîtriser l’intérieur du corps. De cette manière, Hino Senseï est toujours libre de déclencher un mouvement de l’intérieur vers l’extérieur sans que rien ne puisse le contrer. Les pratiquants de taichichuan (taijiquan) et de qigong présents sur le tatami, étaient aux anges.

 

Une démonstration publique impressionnante

Akira Hino était l’invité d’honneur de la 3ème nuit des Arts Martiaux Traditionnels (NAMT). Le samedi soir à l’institut national du Judo, nous nous sommes régalés des démonstrations. Mes préférences sont allées aux démonstrations propres et actives d’aïkido. Philippe Cocconi a ouvert le bal avec un aïkido ultra rapide et puissant, mais sans la brutalité ou la force hélas visible chez d’autres. Plus tard c’est Léo Tamaki qui a démontré un aïkido tout en finesse et précision, avec aucune hésitation dans les placements ou mouvements parasites dans les mouvements. J’ai bien apprécié aussi maître Dubreuil en aïkibudo, qui a fait de très belles choses et un petit coup de plaisir nostalgique pour le karaté Uechiryu. Le reste m’a laissé de marbre. Et puis Hino Senseï est monté sur le tatami. Avec lui pas de démonstration de combat comme les autres. Les exercices présentés nous ont coupé le souffle. Renverser les uke d’une main, les projeter quand ils sont en position stable, tout cela d’accord. Mais renverser 5 ou 6 uke à la fois alors qu’ils le portent en l’air sur le dos, ou à la verticale, c’était à s’en décrocher la mâchoire. La puissance de l’ondulation était aussi à l’origine d’une vitesse impressionnante. Un sabre posé sur la jugulaire est pour moi synonyme de défaite. Hino Senseï disparaissait sous le sabre et dégainait en même temps avec que son uke puisse appuyer sur le cou avec sa lame. Enfin, la présentation d’un kata d’une grande fluidité que je n’avais jamais vue dans le monde du karaté, m’a fait penser à un chat, tout en souplesse et en relâchement. De quoi faire pâlir le taichichuan et rendre absurde les karatés qui donnent tout dans la puissance. Dans les gradins, les gens étaient médusés et pourtant ont pouvait compter un grand nombre d’experts d’arts martiaux parmi eux. Cette démonstration est d’autant plus spectaculaire qu’elle est quasiment improvisée au dernier moment, comme on peut le lire dans le compte-rendu qu’en fait Léo.

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Une démonstration privée plus impressionnante encore

Le dimanche après midi, nous avons repris le cours de l’entraînement. Au bout d’un moment, Hino Senseï nous demande si nous avions des questions. Quand on fait face à 60 ou 70 passionnés d’arts martiaux, les questions ne manquent jamais. La question du kiaï est soulevée. Hino Senseï nous répond que dans ce cas là, la relation avec le uke est très importante. Il est donc impératif de développer la sensibilité et de ressentir instantanément le partenaire ou l’adversaire. Face à lui, Léo mime une attaque au sabre. Au premier cri, on voit Léo s’arrêter et perdre légèrement l’équilibre. La même chose se reproduit avec un kiaï silencieux, ce qui est plus étonnant.

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Dans la même veine, un participant rappelle qu’Hino Senseï propose un exercice plus rare qui consiste à déséquilibrer quelqu’un par le regard. « C’est la même chose, déclare-t-il. Il faut entrer en relation avec l’autre pour interagir avec lui. » Cette fois Léo reste face à Hino Senseï, avec clairement une intention forte dans le regard. En moins 10 secondes, le voilà qui chancelle et finit par s’assoir visiblement déstabilisé. Hino se lance dans une explication, mais au lieu de traduire Léo s’exclame en rigolant et en se frottant les yeux « Je pensais que cette technique était du flan. C’est incroyable ! ». Connaissant Léo, qui n’est pas du genre à se laisser tomber par connivence, voilà qui est troublant. Mais l’un des participants, grande carrure, très costaud, n’est pas convaincu et à la dernière seconde du stage il s’assoit en seiza face à Hino Senseï en une sorte de défi oculaire. Il ne faut pas attendre longtemps pour observer le même résultat. Le gaillard fini par perdre l’équilibre.

Hino-Tamaki-jodan-tsuki

 

Désacralisation des rituels

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Ce que j’ai aimé le plus chez Hino Senseï, c’est la simplicité du personnage. Il sourit, fume une cigarette en sortant du tatami, marche en répétant on ne sait quel mouvement de batterie (il est batteur de jazz). A la question de pourquoi on n’arrive pas à faire tel ou tel mouvement, il nous désigne en riant qu’il faut nous couper la tête, ou au minimum arrêter de penser et de vouloir. La méditation aide-t-elle à mieux se détacher et réussir les mouvements. Non, pas du tout. Méditer est un moment particulier, relaxant, mais qui ne sert à rien pour réussir des mouvements naturels dans la vie de tous les jours, et particulièrement dans le combat. Il faut travailler bien sûr, s’exercer, mais surtout ne pas se crisper mentalement et physiquement. Au moment de la remise des cadeaux, il prend plaisir comme un occidental à ouvrir son paquet et à se régaler d’avance en voyant une bonne bouteille de vin. On est très loin des convenances et des rituels à la japonaise. Chez lui, tout n’est que spontanéité et simplicité.

 

Réminiscences de Chine

Parmi mes vagabondages en Chine, j’ai pu rencontrer un certain nombre de pratiquants de très haut niveau en taichi, wushu ou qigong. J’ai pu observer un homme allumer une ampoule électrique avec ses seuls doigts, un autre éclater des galets de rivières avec trois doigts, un vieil homme  a s’amuser à faire marcher les passants vers lui puis à les repousser à volonté. En voyant la gestuelle d’Akira Hino, son sens du mouvement interne, j’avais l’impression d’être revenu quelques années en arrière au cœur de cette Chine incroyable, berceau des arts martiaux asiatiques.

Son expérience du Budo, du combat extrême, aurait pu le transformer en armure vivante. Au contraire, il a su tirer de ses expériences le flux le plus profond qui dirige la force, trouver la voie du souple contre le dur, revenir aux fondements même des arts martiaux. Si vous avez la chance de pouvoir assister en France ou au Japon à un stage de Hino Senseï, faites le trajet, vous ne perdrez pas votre temps.

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Merci à Léo pour les photos.

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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