Stage avec Yoshinori Kono : un maître hors norme

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Yoshinori-KonoPeu de gens connaissent Yoshinori Kono, à part le petit cercle des lecteurs du blog de Léo Tamaki ou du magazine Arts & combat. Pourtant cet homme est le budoka le plus célèbre de l’archipel nippon. Vedette incontesté du petit écran pour ses explications martiales, c’est avant tout un chercheur passionnant et passionnée. Pour sa première venue en France, j’ai eu le privilège de compter parmi la poignée (80 participants) des pratiquants qui sont allés à sa rencontre. Un moment unique dans ma vie de budoka.

 

Sur le tatami du dojo d’Herblay (en Ile de France) les pratiquants d’une bonne dizaine disciplines martiales s’échauffent. Il est 8h30 et chacun observe les tenues des autres. Je note la présence d’une majorité de pratiquants d’Aïkido, mais aussi de Judo, de Karate, de Iaïdo, de Ninjutsu, de Yoseikan Budo, de Taichi, de Wushu et bien d’autres que je ne reconnais pas. Le ton est donné, le stage sera clairement transdisciplinaire.

Quand Yoshinori Kono monte sur le tatami, pas de présence majestueuse, pas de mise en scène, rien qui impressionne. Un homme simple vient, salut et commence sans préambule par présenter des exercices. Léo Tamaki est à la traduction et nous explique ce que Kono veut nous transmettre. Pas de vérités, juste le fruit de ses recherches.

Yoshinori-Kono-Iai

La matinée est placée sous le thème de l’utilisation du corps sans effort. Pour cela il nous explique les fondamentaux qui permettent au corps de ne pas forcer dans l’effort. « L’idéal est de pouvoir soulever un corps tout en parlant, et que l’on entende pas votre voix se modifier quand vous soulevez ». Démonstration avec un pratiquant assez lourd. Une quinzaine d’exercices plus tard, je suis sidéré. J’ai réussi à faire simplement et sans forcer tout un tas de choses comme soulever une personne, la descendre au sol quand elle ne veut pas, retourner un corps allongé d’un seul coup, éjecter une personne assise sur une chaise avec une seule main, etc. Le relâchement musculaire, l’utilisation du dessus de la main côté pouces et le fait de faire tomber les coudes permet le transfert de la force dans les dorsaux plutôt que les pectoraux. Les muscles inconscients sont alors mis au travail, et ils sont bien plus puissants que les muscles conscients de l’avant du corps. Mais ce n’est pas tout. Comme l’explique Kono Senseï, « Laissez agir la gravité. Lorsque vous descendez votre corps, vos mains remontent un peu. Ainsi la force est concentrée dans l’action au lieu de se disperser. Quand on augmente la puissance et ses appuis au sol, on pousse en direction du sol et en direction des mains, ce qui disperse la force ». Limpide. Voilà ce que j’essaye d’expliquer depuis des années sans trouver les mots justes lorsqu’en Aïkido je vois encore et toujours des pratiquants qui forcent.

Pendant le repas je suis du regard Kono Senseï qui mange à une autre table. J’observe ses gestes, ses yeux. Chaque fois que je le regarde avec intensité, il lève son regard sur moi, comme s’il sentait mon intention. Nous sommes trop loin pour nous parler, mais cela suffit à comprendre la qualité du personnage. D’ailleurs pendant le cours du matin, j’étais étonné par le fait qu’il enchaine les techniques et démonstrations sans trop savoir diriger un cours. C’est Léo qui suggère que l’on pratique. C’est comme s’il était lui-même étonné d’être là parmi tout ces occidentaux. On sent que c’est un chercheur, qui n’enseigne pas. Il passe parmi nous, nous montre à nouveau l’exercice sans nous corriger pour que l’on apprenne absolument. Il donne des pistes plus qu’il ne montre des techniques. Pourtant, dans ses mains on ne sent rien et la descente vers le sol se fait dans une sorte de coton, sans heurt, tout en douceur, mais irrésistible. Etonnant.

Kono-Yoshinori-kenjutsu

L’après midi est consacré au travail des armes. Nous commençons par du jo, une technique que je ne connaissais pas, mais déjà il passe au sabre. Et là, ce fut l’explosion, le feu d’artifice. Il enchaine et montre une dizaine de techniques de Iaïjutsu ancien. Les dégainages sont à l’opposé du Iaïdo moderne. Retrait de la poitrine, effacement des appuis au sol, dégainage presque intimiste où le sabre se garde près de soi, avec comme résultat une fluidité et une vitesse décuplée. En un éclair, il se dégage et coupe en partant de situation impossible (kissaki adverse sur la gorge par exemple). Je note mentalement toutes les techniques que j’ai essayé de reproduire depuis, et je les trouve éminemment difficiles. Comme d’habitude, derrière l’apparente simplicité des mouvements se cache une vie de travail.

Kono-Yoshinori-3Kono Senseï nous explique ensuite pourquoi son te-no-uchi se fait avec les deux mains collées et non pas chaque mains aux extrémités de la tsuka. Il nous donne un exercice à faire pour tester notre rapidité avec les deux mains en position standard, moderne pourrait-on dire, et en position collé, ancienne car inspiré des bushi du 17e siècle tels qu’il les a observés sur les estampes d’Hokusai. La différence est nette. Le mouvement est bien plus rapide avec les mains collées. Mais pour ce qui est de la puissance de coupe, c’est une là aussi une vie de travail à mettre en œuvre.

Enfin nous finissons par une heure de shuriken-jutsu, dehors au soleil, à jeter nos piques au verso des tatamis. Kono Senseï fait une bonne cinquantaine de lancées, en avançant, en reculant, en allant sur le côté, de près, de loin, et tous les shuriken sont plantés. Aucune erreur. Je teste à mon tour et je n’en plante pas un seul, ce qui n’est pas le cas des pratiquants de Ninjutsu qui s’en sortent un peu mieux que la moyenne.

A la fin du stage, je suis comme dans une sorte de brouillard bienheureux qui ne va pas me lâcher pendant deux jours. J’ai touché du doigt, approché un peu, le Budo au sens le plus noble et le plus large. Tous les techniciens de toutes les disciplines sont venus lui poser des questions. Kono Senseï répondait « Nommez la technique » et il la connaissait que ce soit du Judo, de l’Aïkido, du Karaté, etc., et proposait aussitôt une solution. Sa gestion du corps allié à sa connaissance encyclopédique des arts martiaux sont impressionnantes. Mais plus impressionnant encore c’est qu’il ne cherche pas à monter une école et avoir des élèves, à convaincre ses interlocuteurs, à montrer la supériorité de sa technique. Il propose, puis s’en va. Un chercheur, un budoka, un maître véritable comme on n’en croise généralement que dans les films. Une rencontre unique.

Merci à Léo Tamaki de nous avoir permis de vivre ce moment extraordinaire.

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– Pour en savoir plus, voir les nombreux articles sur Kono Sensei sur Budo no Nayami.
– Autre compte-rendu du stage sur I shin den shin.

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Ivan Bel

Depuis 30 ans, Ivan Bel pratique les arts martiaux : Judo, Aïkido, Kenjutsu, Iaïdo, Karaté, Qwankido, Taijiquanet Qigong. Il a dirigé le magazine en ligne Aïkidoka.fr, puis fonde ce site. Aujourd'hui, il enseigne le Ryoho Shiatsu et la méditation qu'il exerce au quotidien, tout en continuant à pratiquer et écrire sur les arts martiaux du monde entier.

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